Depuis une décennie, accentués par le développement des entreprises du net, de nouveaux modes de management ont émergé transformant profondément les relations interindividuelles et hiérarchiques au sein de nombreuses organisations. Un exemple est l’apparition de la ludification qui tend à transformer les espaces communs de l’entreprise en un espace de détente et de divertissement.

Si l’existence de tels espaces peut certainement accroître les velléités d’un jeune diplômé de rejoindre l’entreprise (ébahi de voir que l’on peut jouer à la console sur le lieu de travail), constituent-ils un réel outil de management ?

Que l’on prenne la société informatique Linkbynet qui a installé un toboggan et des jeux, ou encore certains géants du web tels que Google, Yahoo! ou certains cybermarchands qui ont des consoles de jeux vidéo au sein des espaces communs, on peut raisonnablement se poser la question de l’utilité et de la pertinence de tels équipements en termes de management. L’idée sous-jacente à l’installation de ces équipements est que les moments de détente favoriseront les moments de travail intense.

Ne serait-ce pas uniquement un moyen pour les entreprises de véhiculer une image et ainsi revendiquer leur côté « fun » et amusant ? Pourtant, l’utilité de moments extra-professionnels de détentes et de connivences entre salariés ne fait plus de doute, car ils contribuent à forger un esprit d’équipe. Pour preuve, le développement des « team building » et autres événements qui permettent de resserrer les liens entre salariés. De plus, il est bien connu que l’implication du salarié est garantie par un environnement de travail agréable (théorie de l’implication), tandis que la productivité est favorisée par des moments de détente et de repos. Toutefois, ces moments de détente doivent-ils être apportés par la ludification ?

Celle-ci pose différents problèmes :

1) La réticence des salariés subalternes à utiliser les équipements ludiques mis à disposition par l’entreprise. En effet, inévitablement ils s’interrogeront : « Que va penser mon chef ? » Si cette interrogation est moins vraie dans les TPE et PME dans lesquelles les relations sont souvent plus étroites (voir amicales), cela est bien réel dans les grands groupes où les relations restent dans tous les cas hiérarchisées.

2) Dès lors, les personnes qui utilisent volontiers ces installations sont celles qui ne se posent pas ce type de question. Ayant travaillé pour une grosse entreprise du net, j’ai ainsi pu observer pendant longtemps les directeurs Achat et Commerce disputer leurs parties quotidiennes de jeux vidéo ; les deux directeurs étaient parmi les seuls à utiliser ces équipements en journée (les simples salariés étaient beaucoup plus enclins à les utiliser le soir après 20 h). La fréquence d’utilisation des équipements était inversement proportionnelle au niveau hiérarchique dans l’entreprise.

3) La conséquence a bien souvent été un effet contre-productif du fait d’une démotivation de certains employés : en effet, l’utilisation des jeux vidéo a été source de tensions, notamment chez certains employés soumis à des pressions (comme les commerciaux qui doivent atteindre leurs objectifs). Voir certains de leurs collègues ou leurs supérieurs prendre du bon temps alors qu’eux-mêmes ne parvenaient pas atteindre leurs objectifs a contribué à créer des tensions.

Si la ludification a sans aucun doute des aspects positifs, il s’agit de son intégration au sein des zones de travail qui doit être réfléchi. Il apparaît nécessaire d’installer les équipements dans des lieux adéquats (et non dans les espaces communs de passage), et de sensibiliser les managers sur l’utilisation de ceux-ci comme outils de management. Dans tous les cas, cela peut être un moyen efficace de tisser des liens et d’avoir des discussions informelles (la pause « clope » était auparavant bien utile à ce type de discussion) pour un manager qui peut régulièrement convier certains membres de ses équipes à des parties communes.